Carnet intime de Julie, une page datée du 27 juin 2010. En face de la date, une phrase écrite au stylo bille rouge, soulignée deux fois : « pour mon blog ? – à voir ». Dessous, un court texte, sans rature. En voici la retranscription :
« Comment revenir après ce long silence ? A celles et ceux, rarissimes donc précieux, qui lisent volontiers mes billets, je vous fais mes plus plates excuses. Que vous dire ? Rien. Je ne suis pas en mesure d’écrire, voilà tout. Les mots sont loin. Comme si j’avais perdu mes clés. Je ne décode plus rien, j’ai le sentiment qu’il n’y a plus rien à comprendre au-delà des simples faits bruts, et brutaux. Rupture, maladie de proche, boulots décevants, une société qui ne pense qu’au fric et au football, les événements surviennent et je ne peux que prendre acte. Tout commentaire me paraît vain. Perte de temps, d’énergie. Je n’ai apparemment aucun pouvoir sur ce qui arrive, je préfère donc éviter d’en penser quoi que ce soit. Et je consacre mon énergie à supporter la situation, autant que je peux. Lorsque je me plains de mon boulot, on me répond que j’ai déjà de la chance d’en avoir trouvé un. Lorsque je refuse de croire à l’issue fatale du cancer, on me répond statistiques. Lorsque je m’étonne de la place réservée au foot et à l’argent qu’il génère, on me répond « ça fait rêver beaucoup de gens ». Alors voilà, comme tout semble avoir son explication, sa réponse, sa logique, je me résigne. A moi de m’adapter à tout ce qui me dérange. Et ça prend une énergie folle. Comme beaucoup d’autres sûrement, j’y passe ma vie, «m’adapter à tout ce qui me dérange ». Quel misérable aveu d’impuissance… Mais me révolter, être en colère, militer, ce n’est pas dans ma nature. Je n’ai pas de patience, et je préfère ne pas me faire d’ennemis. Il me faudrait créer un monde… mais il n’est pas de ce monde, et je n’aime pas m’isoler.
Alors cet après-midi je me suis assise sur un banc. Un banc sur une place n’offrant aucune vue particulière, ni aucune tranquillité spécifique. Un banc banal. Je n’étais pas fatiguée, je n’avais rien à lire, mais ce banc était là, je m’y suis assise. Sans raison. Je m’en suis d’ailleurs étonnée. C’était bête d’être assise là, pour rien. J’ai voulu me relever. Mais me relever n’offrait pas plus de sens. Je suis donc restée sans rien faire, immobile sur ce banc, de longues minutes. Et j’ai éprouvé soudain, dans ma chair, dans ma tête, le creux du temps, le vide existentiel, la vacuité de l’acte. J’avais cessé d’avancer. A ma manière, la seule qui me soit donnée, je… je résistais ? ».
Après ce dernier mot, plusieurs lignes entières de points d’interrogation, jusqu’en bas de page.